La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




HISTORIQUE DES EAUX-BONNES



es controverses se sont élevées parmi les différents auteurs pour préciser l'époque de la découverte des sources thermales de Bonnes, et M. J. Lavillette, dans une notice intéressante sur les établissements de la vallée d'Ossau, en a parfaitement démontré l'importance.
     Sans vouloir déterminer si certains passages de Pline et de Scaliger s'appliquent à cette station ou bien aux établissements des Hautes-Pyrénées (dans la Bigorre les sources froides et chaudes abondent à peu de distance les unes des autres,) nous pensons avec M. Moreau que les Romains ont dû connaître les Eaux-Bonnes.
     Les belles mosaïques de Bielle, découvertes par lui en 1842, et qui servirent nécessairement à la décoration d'un grand édifice, indiquent comme nous l'avons dit, la présence et le séjour prolongé de ce peuple dans la vallée : la rage destructive des Cantabres, et leur désir immodéré d'anéantir les derniers vestiges de leur esclavage ont pu seuls triompher de leurs œuvres.
     La découverte des Eaux-Bonnes serait due au hasard d'après une vieille tradition devenue populaire ; la légende raconte qu'une vache paissait dans ces montagnes ; affectée d'un ulcère hideux, elle s'était promptement débarrassée de son mal en venant se baigner dans une eau qui sourdait à l'entrée de la gorge de Lacoume. Témoin de cette guérison, le gardien du troupeau avait suivi l'animal dans ses pérégrinations journalières, et en constatant la chaleur de la mare médicatrice, il avait du même coup découvert la source précieuse.
     C'est pour la première fois en 1356 que les chartes du pays font mention des Eaux-Bonnes à l'occasion du séjour qu'y fit pendant l'été la princesse Talèze, de la famille des vicomtes de Béarn. Gaston Phoebus, le fameux batailleur, en avait fait un rendez-vous de chasse quand il poursuivait l'izard, ce chamois mignon des Pyrénées. Notons en passant que les Eaux-Chaudes jouissaient depuis longtemps d'une vogue considérable ; Sanche 1er, roi d'Aragon s'y était rendu en 890, et avait laissé son nom à l'une des sources (Hoûn deù Rey), le Rey.
     On ne trouve pour le quinzième siècle qu'un document en vertu duquel le vallon où sont bâties les Eaux-Bonnes et forêts adjacentes, est revendiqué par les communautés d'Aas et d'Assouste.
     Au seizième siècle, dans sa lutte gigantesque contre Charles-Quint, François Ier avait rallié à sa cause Henri II, roi de Navarre ; après les désastres de Pavie, les guerriers navarrais estropiés et souffrants sont envoyés aux Aiguos Buonos, réputées spécifiques contre les blessures, et le roi s'y transporte avec une suite nombreuse de chevaliers, ses glorieux compagnons d'armes. Les heureux effets qu'elles produisent propagent leur réputation dans le haut monde, et la reconnaissance donne aux sources bienfaisantes un baptême glorieux. On appelle eau des arquebusades celle qui venait de guérir les blessures produites par l'arquebuse. Il n'est pas bien prouvé que Marguerite d'Anjou, que la galanterie avait proclamée la quatrième Grâce et la dixième Muse, se soit baignée aux Eaux-Bonnes ; par contre, la sœur de François Ier, Marguerite de Valois, la Marguerite des Marguerites, la gracieuse princesse qui résumait en elle la gaie science et la science de la vie joyeuse, s'y rendait souvent pendant ses divers séjours aux Eaux-Chaudes.
     Au dix-septième siècle, comme en ne les préconisant que comme vulnéraires, on limitait ses vertus, les habitants du village lui rendirent son ancienne dénomination d'Aigues-Bonnes.
     L'historien de Thou allait boire les Eaux-Bonnes à pleines gorgées : accompagné d'un Allemand, ils ingurgitaient, dit-on, jusqu'à cinquante verres, « plutôt, dit la chronique, par plaisir que par nécessité. »
     Michel Montaigne, ce mordant critique de la médecine et des médecins, ce spirituel sceptique qui croyait cependant à l'efficacité des eaux minérales, y vint en 1660, et les appela Gramontoises pour plaire à son influent protecteur le chancelier de Grammont, d'une famille puissante du Béarn chez laquelle il avait reçu la plus gracieuse hospitalité !
     Henri IV dans sa jeunesse se plaisait beaucoup aux Eaux-Bonnes; Joubert et L.Rivière, médecins célèbres de l'époque, en font mention dans leurs mémoires ; Lebret, intendant du Béarn, écrivait en 1700 : « La difficulté des chemins et de la résidence empêchent qu'elles ne soient fréquentées, quoiqu'on en dise assez de bien. »
     En 1744, Labaig, après avoir constaté que l'on n'arrivait que par un chemin fort escarpe, mais cependant praticable à cheval (sentier raboteux longeant la rive droite du Valentin et passant par Béost et Assouste), ajoute :
    « On ne saurait décrire la tristesse de ce lieu sauvage ; on n'y trouve ni feu ni lieu, pour tout logement il n'y a que deux misérables cabanes remplies de mauvais lits où l'homme le moins délicat ne saurait se résoudre à se coucher. Là, fort indécemment et en liberté, sont confondus pêle-mêle les malades d'un sexe différent ; mais ce qui doit surprendre davantage, c'est qu'on n'y trouve aucune ressource pour y subsister, point d'auberge, point de pourvoyeur. »
     Sous M. d'Étigny, intendant général du Béarn, un rapide éclair de prospérité luit pour les Eaux-Bonnes ; des routes sont projetées pour les rendre accessibles à tous les besoins, mais cet élan est de courte durée.
     Avec le dix-huitième siècle surgissent enfin les Bordeu, à cette époque Antoine commence leur réputation actuelle, en les appliquant plus particulièrement à la guérison des affections de poitrine : « Mon père les a le plus mises en vogue, » dit Th. Bordeu dans ses Lettres à madame de Sorberio (1748). Cette publication célèbre a fait à la fois la fortune des thermes et celle de l'auteur. Bordeu fut récompensé de son fameux système des eaux des Pyrénées par la surintendance générale des eaux d'Aquitaine, et dès lors il ne fut plus question que des eaux minérales dans les académies, les lettres, les gens du monde, les artistes et les philosophes. L'enthousiasme du médecin béarnais pour la vertu des sources de la vallée entraine tous les esprits, et les échos de la chaîne ne répètent que les noms d'analyses, d'observations, d'ouvrages sur la matière. « Chacun veut avoir sa naïade, la prôner, la créer ; on va même jusqu'à vouloir ériger en eau minérale des bourbiers croupissants, ou comparer des fossés marécageux à nos sources maîtresses. »
     Le 20 juillet 1774, une ordonnance de l'intendant de Navarre établit aux Eaux-Bonnes un régime administratif et un service médical régulier : le fermage rapportait alors trois livres tournois ; il est vrai que les baignoires étaient représentées par d'affreuses bicoques en bois de sapin.
     Une ère nouvelle de richesses et de haute renommée s’élève avec le dix-neuvième siècle, et les gouvernements révolutionnaires eux-mêmes ne perdent pas de vue les établissements thermaux.
     En l'an III, Lomet, dans son rapport au Comité de salut public, parle de ces eaux fameuses depuis plusieurs siècles et dont les vertus sont bien connues. « Les sources cependant, recueillies de la façon la plus pitoyable, presque inaccessibles par l'état des sentiers qui y conduisent, sont actuellement au dernier degré d'altération, et au moment d'être perdues pour la République. » Éclairé par cette enquête, le gouvernement se décide à prendre en main l'administration des sources d'Ossau mais les événements s'opposent à la réalisation de cette heureuse pensée.
     Napoléon Ier entreprend de faciliter l'exploitation des eaux de la vallée par l'établissement d'une route praticable, et la construction de logements convenables pour recevoir les baigneurs.
     Un premier décret (an XII) prescrivait à chaque commune de contribuer pour une part déterminée à l'exécution incessante des travaux réclamés par l'humanité !
     M. de Castellane a su mériter la reconnaissance éternelle du pays par le zèle et l'infatigable activité avec lesquels il a poursuivi les améliorations et les embellissements.
     « Le vœu du conseil général et de tous les amis de l'humanité va être réalisé, écrivait-il en 1806 ; les malades trouveront désormais les objets de première nécessité, et ils boiront des eaux pures et de bonne qualité. »
     Un deuxième décret portait : « Il sera construit deux maisons, l'une affectée au logement des militaires qui reçoivent sans aucune rétribution le secours des eaux ; l'autre, donnée en location aux baigneurs. Le produit des loyers sera employé à l'entretien des deux édifices et à l'établissement d'une communication des Eaux-Bonnes aux Eaux-Chaudes. »
     L'adjudication de l'hospice pour les militaires eut lieu en 1808, sous l'administration de M. de Vaussay, mais on se borna à la construction de la maison dite du gouvernement.
     Cette même année, le roi Louis de Hollande passa quelques jours au château d'Espalungue. La Restauration poursuit l’œuvre de l'Empire. Les communes entourent leurs eaux d'une plus grande sollicitude, et en livrent l'exploitation à la spéculation privée : les préfets Dessoles et le Roy suivent le noble exemple de M. de Castellane, leur prédécesseur ; aussi, dans ses Tableaux des Pyrénées françaises, Arbanère constate-t-il en 1820 que tout se ressent de la nouveauté de la création, « Les maisons sont propres, élégantes, les promenades bien tracées, » là où la monotonie régnait presque sans partage.
     En 1823, les Ossalois offrent à la duchesse d’Angoulême « un de ces fromages que le bon roi Henri voulut bien accepter d'un de nos ancêtres... La mémoire du cœur ne meurt pas ; » et en 1828 la duchesse de Berry chevauche dans les montagnes, béret en tête et ceinture rouge au côté !
     L'installation des thermes laissait toutefois beaucoup à désirer, car M. D. Nisard écrivait: « C'est une pitié que le séjour des Eaux-Bonnes ; on est là dans un entonnoir au bout du monde ; c'est la fin de la route : il faut reculer pour en sortir. »
     La nomination de M. Prosper Darralde comme médecin-inspecteur en remplacement de son père (1836) fut le signal de progrès nouveaux, et d'une prospérité sans exemple. Une quinzaine d'hôtels à trois et quatre étages s’élèvent bientôt comme par enchantement, et dès 1856 on peut compter pendant la saison de cinq à six mille baigneurs dépensant sur place 800,000 francs à un million d'argent.
     Depuis lors les lettres et les sciences, les arts et l'industrie, le commerce et la politique, l'Église et la magistrature, deviennent tributaires des thermes bienfaisants de la vallée d'Ossau, et les cinq parties du monde envoient leur contingent à ce rendez-vous d'élite.
     Parmi les visiteurs illustres de ces dernières années, on peut citer le prince de Prusse, le duc de Montpensier, le duc et la duchesse de Nemours, l'infant don Enrique.
     Il n'est pas besoin de rappeler les différents séjours de S. M. l'Impératrice Eugénie, car nous retrouvons à chaque pas les traces de sa bienveillante sollicitude !
     L'administration actuelle de M. Pron a su profiter avec intelligence et bonheur des conditions particulières qu'ont faites aux Eaux-Bonnes, la mode, la facilité des communications, l'activité des fermiers, la propagande des malades, etc., par-dessus tout la science et la réputation de son très regretté inspecteur.
     A la dernière réunion du conseil général, M. le préfet a communiqué une note très-intéressante sur les importantes améliorations dues à la bienveillante initiative de l'Impératrice. Après avoir décrit la nouvelle promenade et annoncé l'inauguration de l'asile Sainte-Eugénie, il a signalé les nombreux projets à l'étude.
  • Embellissement de la promenade horizontale,
  • Ouverture d'une promenade le long du Valentin, pour rendre accessible sa belle cascade,
  • Création d'un promenoir couvert,
  • Construction d'un Casino au-dessus de la place des Invalides,
  • Agrandissement de l'église,
  • Chalet de la source froide,
  • Etablissement à Orteich.
     Nous ne pouvons qu'applaudir à cette noble pensée de faire des Eaux-Bonnes l'un des séjours les plus agréables et les plus utiles des Pyrénées.

   Sources

  • Prosper de PIETRA SANTA, Voyage-Topographie-Climatologie, JB.Baillière et fils, Paris 1862
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