La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




La Grotte CASTELLANE.


r
orsqu'on descend des Eaux-Bonnes à Laruns, et qu'on arrive à peu près en face du village d'Assouste, on remarque à droite, à côté de la route qu'on parcourt, une jolie pelouse, plantée d'arbres étrangers, réunis par petits groupes et formant quelques cabinets de verdure. A l'entrée de ce lieu, se dresse un poteau, élevant fièrement sa tête et portant à son front cette prétentieuse enseigne: Grotte très-curieuse. Puis au-dessous, sur le même poteau, une plaque de marbre offre aux passants cette autre inscription : Villa Castellane. Pendant plusieurs années, cette dernière inscription est demeurée humble et modeste, étendue sur le gazon, à côté du sentier qui longe la pelouse. Le gardien de la grotte, qui tient avant tout à ses intérêts, a cru sans doute faire preuve d'esprit et attirer un plus grand nombre de visiteurs, en plaçant à côté de la première inscription une seconde réclame.
     On entre, on avance, on regarde et on s'étonne. On ne saurait être surpris de ne pas apercevoir encore les abords de la grotte, qu'on suppose cachée plus bas, sous les rochers de la montagne. Mais la Villa Castellane, si pompeusement annoncée, où donc est-elle ? On a beau promener ses regards à droite, à gauche et en avant du coté du torrent, on ne voit toujours d'autre édifice que la pauvre demeure du gardien. Pourquoi donc cet écriteau qui proclame fièrement une villa imaginaire ? Est-ce une énigme, est-ce une mystification ? Ce n'es ni l'autre. Quelle qu'ait été la pensée de l'auteur de cette inscription, il n'est pas moins vrai qu'elle a une signification historique : elle signifie tout à la fois un rêve, un souvenir, un regret. On va en juger par l'histoire de ces lieux.
     En l'année 1840, le propriétaire de ce lambeau de terrain, qui de la route descend jusqu'au torrent, y découvrit, dans le fond, sous des rochers sauvages et presque inaccessibles, une petite grotte, ornée de magnifiques stalactites. Mais pour y aboutir, on ne trouvait qu'un mauvais sentier à peine tracé sur une pente très-rapide, passant sur des rochers escarpés, effrayants et presque suspendus sur un abîme.
     Il y avait pourtant un grand nombre d'intrépides, qui bravaient la fatigue et le danger, pour aboutir jusqu'à la grotte, et le propriétaire, habile à exploiter le droit de visite, s'estimait heureux d'avoir trouvé cette poule aux oeufs d'or. Ce n'était encore là que le commencement de sa bonne fortune.
     Il arriva que, l'année suivante, un grand et riche personnage, M.le comte Jules de Castellane, vint aux Eaux-Bonnes pour les soins de sa santé. Il y trouve sa guérison, et, plein de reconnaissance pour cette contrée, il veut laisser de son passage un durable souvenir. La grotte avec son site pittoresque attire son attention : il l'achète généreusement, avec le terrain qui en dépend, et le pauvre Bonnecase se trouve possesseur d'une somme assez ronde, qui est pour lui une fortune.
     Tout à coup de la grotte au torrent ce lieu change d'aspect. Il est débarrassé de ses rochers et de ses précipices : une partie des masses granitiques, qui obstruaient la grotte, est emportée. On y arrive par un chemin facile et bien ménagé. Dans la pensée du nouveau propriétaire, ce n'est encore là que la préparation du sol où bientôt on verra naître des prodiges : il rêve, il médite, il arrête un splendide projet.
     Aux bords de la route s'élèvera une superbe villa, environnée de bosquets enchanteurs : elle sera ouverte à tous ceux qui voudront aller y chercher les jeux, les amusements, les distractions et le plaisir ; ce sera le Versailles des Pyrénées. Au-dessous, se dresseront de vastes terrasses, disposées en amphithéâtre, ombragées par les arbres les plus beaux et les plus variés, embaumées des plus doux parfums des fleurs.
     C'est ainsi que de terrasse en terrasse, de surprise en surprise, on descendra jusqu'à la grotte par cette magique route de merveilles....
     Mais ces plans magnifiques, conçus sous l'empire d'un enthousiasme de circonstance, ont passé rapides comme lui : ils se sont évanouis comme un vague songe de la nuit. Il n'en est resté qu'un vain souvenir, et ces lieux, qui devaient devenir, si ravissants, expriment encore tristement leurs regrets et leurs plaintes, par l'inscription gravée sur le marbre, et redemandent toujours mais en vain la Villa Castellane 0.

     Tout en partageant ces regrets, profitez toujours des travaux d'amélioration que fit exécuter, dans le premier élan de son ardeur, M. de Castellane. Passez à l'humble demeure de la famille Bonnecase, qui garde la clef de la grotte, pour ne la montrer qu'à prix d'argent. L'ancien propriétaire, grâce au noble désintéressement du nouvel acquéreur, a eu l'heureux privilége de vendre bien au-dessus de leur valeur sa grotte et son terrain, de les voir tout-à-coup se transformer et s'embellir, et d'en jouir encore comme autrefois.
     Vous descendez au fond du vallon par un sentier habilement tracé, qui tourne et serpente à la surface des rochers domptés et aplanis. A quelques pas au-dessus des ondes frémissantes du Valentin, l'entrée de la grotte apparaît. La porte souvre, et vous contemplez avec étonnement des milliers de cristaux, qui pendent à la voûte et tapissent les murs. L'eau, qui tombe goutte à goute, a produit ces merveilles, œuvre lente et monotone de la nature dans la durée des siècles. En face, sur la rive opposée, s'avance un rocher gigantesque, qui portait autrefois sur son plateau superbe le vieux château d'Assouste, monument féodal, depuis longtemps abattu, qui croula soudainement, avec ses infortunés habitants, sous le feu des guerres civiles du 16e siècle. Le torrent, resserré en cet endroit par des masses abruptes, y fait entendre en sourds gémissements sa murmurante voix.

puce    Sources

  • ABBÉ A GUILHOU, Tableaux Historiques des Eaux-Bonnes, Imprimeris de A.Laytou, Cahors, 1858
j  
5