La vallée d'Ossau :              
                 Culture et Mémoire



La Cité des EAUX Bonnes.




elui, dont la puissance infinie a fait sortir des profondeurs mystérieuses des montagnes la source des Eaux-Bonnes, a voulu préparer un doux asile aux malades qui se rendraient en ce lieu, pour y chercher la santé.
    C'est un beau pavillon, planté par la main du Créateur dans ce vaste désert de montagnes, pour recevoir ceux qui souffrent, ou ceux encore qui, se séparant pour quelques jours des bruits du monde, — où l'âme est trop souvent emportée par le flot agité de la vie, — vont demander le calme, le délassement et les plaisirs purs au solennel spectacle des curiosités pyrénéennes.
    On entre dans le vallon des Eaux-Bonnes parle côté nord-ouest : son ouverture n'a d'autre largeur que celle de la route. Les deux montagnes qui le forment semblent d'abord se donner la main puis, s'écartant en courbe allongée, se rapprochent de nouveau : c'est un véritable bassin de figure elliptique. Le mont Gourzy le protège du côté du couchant, élevant sur ses flancs rapides le .sombre rempart de ses ombrages. Du côté oriental, ce n'est qu'une basse colline, qui, se prolongeant et s'élevant par gradation au delà du bassin, étale, d'étage en étage, ses jolis mamelons.
    Plus loin, et dans la même direction, la Montagne Verte, déployant ses vastes pelouses, complète l'encadrement. Au sud du mont Gourzy, la montagne de Lacoume, qui n'en est que le prolongement, présente les grandes masses de ses roches granitiques, sur lesquelles trône avec fierté le Pic du Ger, couronné d'un diadème de neige. Ainsi abrité, le bassin des Eaux-Bonnes, où le soleil peut facilement jeter ses nappes d'or, est, dans la saison de l'été, une douce et calme oasis, où l'on respire un air pur et délicieux.
    A l'entrée du bassin, sous la colline ombragée qui le ferme à l'orient, s'étend, en ligne droite, une longue file de maisons blanches, construites régulièrement et avec goût, sur une longueur d'environ 400 pas. En face de ces maisons, sur une ligne parallèle, s'allonge une balustrade de bois peint ; sur les bords d'un large trottoir d'asphalte, soutenu par un cordon de pierres grises. Entre cette barrière et les maisons s'ouvre, sur une pente assez rapide, une grande rue, la plus belle et la plus fréquentée des Eaux-Bonnes.
    En face de cette rue, est une promenade, plantée d'arbres touffus et variés d'espèce, coupée par des allées irrégulières qui la parcourent en tout sens. Elle commence en pointe et s'élargit en courbe, au pied de la montagne boisée qui la domine : on l'appelle le Jardin-Anglais.
    Entre le Jardin-Anglais et le mont Gourzy, s'ouvre une route, bordée, à droite et à gauche, par les nombreux étalages des marchands, placés sous des tentes mobiles, ou sous des maisonnettes de bois : c'est l'avenue des promenades qui se trouvent dans la région occidentale.
    Au-dessus du Jardin-Anglais, s'étend une place horizontale en carré long, entourée de maisons au midi et au couchant. En face, est une autre place plus petite, s'ouvrant sur la rue, comme la précédente, et encadrée de maisons sur tous les autres côtés.
    Là commence une nouvelle rue, qui n'a guère que la moitié de la longueur de la rue principale et qui n'en est que le prolongement : elle conduit, par une légère courbe, à l'extrémité du bassin. C'est là que, sur la gauche, à côté d'une promenade disposée en terrasse, se dresse l'Établissement thermal, adossé au mamelon d'où jaillissent les sources. Un peu plus haut, devant une plate-forme, où l'on monte par un double escalier, s'élève une modeste chapelle.
    Ici finit le bassin des Eaux-Bonnes. Mais, à partir de la chapelle, les deux montagnes s'écartent de nouveau, et une gorge étroite et sauvage se prolonge vers le midi : c'est la gorge de la Soude, arrosée par le torrent de ce nom, qui parcourait naguère de ses eaux bruyantes et souvent indomptées la petite cité, et qui, maintenant enchaîné dans un aqueduc souterrain, va déboucher en cascade, et sans être aperçu, dans la vallée voisine.
    Tout le bassin est ainsi complètement occupé. A défaut d'espace, il a fallu bâtir ailleurs, pour donner l'hospitalitè aux étrangers, dont le nombre augmente chaque année.
    De la grande rue, en face du Jardin-Anglais, se détachent deux petites rues obliques, montant à la colline qui forme la bordure orientale. Du sommet de la plus basse de ces rues part une côte rapide, qui descend aux bords du Valcntin.
    Ce chemin, naguère solitaire, vient, tout-à-coup, de subir une transformation : aujourd'hui c'est une belle rue, dont la plupart des maisons sont déjà finies et les autres en cours d'exécution ; on l'a nommée : la rue de la Cascade.
    Cette nouvelle rue aura plus d'importance, lorsqu'à l'endroit où elle va finir, à quelques pas du torrent, on aura construit un second établissement, nouvellement projeté , et dont l'emplacement est déjà tout préparé, afin d'utiliser une source thermale qui jaillit en ce lieu.
    Si les Eaux-Bonnes, comme tout l'annonce, prennent un plus grand développement, il est encore un espace, où l'on pourra bâtir une belle rangée de maisons : c'est la colline orientale qui sépare les deux vallons. Les maisons qui seraient élevées là, et d'où la vue embrasserait toute la ville, ne seraient pas les moins agréables.

    Tel est le tableau topographique de,la petite cité des Eaux-Bonnes. A voir ses édifices tout neufs, il est aisé d'en reconnaître la récente origine : elle n'existait pas, il y a un demi-siècle.
    Dans les premières années de notre siècle, on n'y voyait encore que quelques maisons en bois. A partir de Laruns, il n'y avait pas même de grande route pour y arriver : il fallait gravir un sentier escarpé, tracé sur les bords du Valentin La belle route, qui part de Laruns et ondule à travers la montagne, fut ouverte en 1808, sous l'administration de M. de Castellane, préfet des Basses-Pyrénées, qui, par sa haute influence et les travaux qu'il fit exécuter, posa, en quelque sorte, les premiers fondements de l'immense réputation dont jouissent aujourd'hui ces sources thermales.
    Depuis cette époque, plusieurs vastes maisons y furent construites successivement, à mesure qu'augmentait, chaque année, le nombre des visiteurs. Toutefois, ce n'est qu'à partir de 1836, que le village des Eaux-Bonnes a commencé de prendre les proportions et les allures d'une ville. Depuis 1850, surtout, son développement est devenu considérable, et les constructions commencées ou projetées proclament assez haut que cette charmante cité est en voie de rapide progrès.
    Elle peut maintenant loger simultanément plus de deux mille étrangers. Sa population, pendant la saison des eaux, est une population mobile qui se renouvelle incessamment.
    Toutes les maisons, étant destinées à recevoir des étrangers, sont généralement belles, hautes, spacieuses et bien aérées. Parmi celles qui portent spécialement le titre d'hôtel , il en est qui ont un extérieur imposant, et qui sont décorées avec un luxe pompeux et une élégance recherchée.

    Dans la saison des eaux, cette petite ville offre partout un aspect d'animation, de mouvement et de vie. Les nombreux magasins qui la décorent, les voitures qui roulent, les gens à pied qui circulent et se croisent continuellement, les cavalcades qui partent, ou reviennent, le refrain monotone des marchands ambulants, tous ces bruits, unis à d'autres bruits,lui donnent l'apparence des grandes cités.....Et puis, les salons, les cafés, les cabinets littéraires, les concerts, les jeux des Ossalais, les divers spectacles des artistes, les fêtes champêtres, les promenades, les excursions, sont, pour les malades et les touristes, une source féconde de distractions et de plaisirs.

    Ces temps joyeux ne durent pas toujours. Quand l'équi noxe d'automne ramène les jours sombres et froids au sein de ces montagnes, et oblige les derniers visiteurs, atardés en ces lieux , à reprendre le chemin de leur demeure, tout à-coup la scène change et le ciel des Eaux-Bonnes semble se voiler d'une teinte funèbre. Dans ces hôtels, qu'on voyait si peuplés, règne maintenant un morne silence.
    Dans ces rues et ces places publiques, où se pressait une foule bruyante, passent, de temps en temps, quelques rares habitants. A mesure que la terre approche du solstice d'hiver, la neige, qui, dans les beaux jours, n'avait d'autre asile que les plus hautes cimes, étend, de plus en plus, son empire, et fixe son séjour jusqu'au fond des vallons.
Les sentiers des montagnes, où couraient les étrangers dans leurs joyeuses excursions, ont disparu sous le blanc manteau qui les couvre..... Et rien ne trouble le lugubre silence de ces lieux, si ce n'est le bruit rauque et plaintif du torrent, le gémissement du vent qui passe sur les arbres dépouillés, et, de temps à autre, le cri sinistre de quelque oiseau de proie, ou la voix lointaine de quelque vache, fatiguée de rester enfermée dans sa prison d'hiver.
    C'est la solitude du désert au milieu des montagnes.
    C'est le repos de la nature, sommeillant tristement sous son voile de deuil, en attendant le doux réveil de la saison nouvelle.

 puce  Sources

  • Abbé A. GUILHOU, Historiques et Descriptifs, des Eaux-Bonnes, Imprimerie A.Laytou, Cahors, 1858
j
5