La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




LE CHÂTEAU DE PAU



u nord de la ville de Pau, sur une longueur de plusieurs lieues, s'étendent de vastes landes accidentées qui la séparent des coteaux supérieurs du Vic-Bilh : c'est le Pont-Long. Un ruisseau de peu d'importance, le Hédas, coulant dans une petite, mais abrupte vallée, vient se jeter dans le Gave, laissant entre eux un mamelon escarpé, terminé en angle aigu vers l'ouest.

     Cet emplacement était naturellement désigné pour y établir un château-fort, puisqu'en pratiquant une tranchée à l'est, il se trouvait défendu de toutes parts.
     Aussi, à une époque fort ancienne et qui n'a : pas été nettement établie, mais qu'on s'accorde à porter à la fin du Xe siècle, les princes de Béarn, qui résidaient à Morlaàs, songèrent à y construire un Castet.
     Les commencements en furent très modestes. D'accord avec les montagnards de la vallée d'Ossau, propriétaires de ces plaines, on délimita le terrain à l'aide de trois pieux (Palum, en béarnais Paü), et c'est là que s'élevèrent les premières constructions dont il ne reste plus de vestige appréciable.
     Telles furent, d'après les chroniques béarnaises, les origines du château et de la ville de Pau : longtemps le premier resta seul ; puis, lorsqu'il eut été remplacé par de hautes et solides constructions, quelques habitations se groupèrent à ses pieds vers l'est ; jusqu'au milieu du XVe siècle, ce n'était qu'une bourgade (ü-locq).
    En 1464, une patente de Gaston IV de Foix en fit une ville qui n'a cessé de se développer depuis lors ; qui, au XVIIe siècle, reçut un Parlement, et devint la capitale de la province ; où résidait l'intendant. C'est aujourd'hui la reine des Pyrénées, la ville gracieuse et hospitalière, qui s'est étendue sur les bords du Pont-Long, baignant ses pieds dans le Gave, en face des Pyrénées, qui lui font un splendide horizon, et dont le beau climat, la situation admirable, les mœurs douces attirent tant de visiteurs et d'hivernants.
     Mais le château d'Henri IV est à peu près le seul monument digne d'attention, au point de vue artistique et historique et qui, sans pouvoir être comparé aux royales demeures des bords de la Loire, mérite une étude sous ce double rapport.
     Les remaniements et réparations dont il a été l'objet sont loin d'être à l'abri de la critique, et l'on a souvent quelque peine à retrouver les constructions anciennes.
     Des architectes, novateurs plus hardis que prudents, plus entreprenants qu'expérimentés ont, à diverses reprises, altéré notablement le style original du château des Gaston et des Henri, et les réparations accomplies sous le règne du roi Louis-Philippe l'ont éprouvé plus que l'abandon du XVIIIe siècle et les ravages de la Révolution.
     Les derniers travaux ont été conduits avec plus de science et de goût, et malgré les fâcheuses modifications dont nous venons de parler, le vieux castel se retrouve encore sous les additions et modifications modernes.
     Son histoire architecturale peut être divisée en cinq périodes : le château primitif, les constructions de Gaston Phoebus, celles de Gaston IV de Foix, celles d'Henri d'Albret et enfin les travaux modernes.
     Nous nous bornerons à quelques lignes seulement sur chacune de ces périodes.
     Du château primitif, du Castet Menou, on peut dire qu'il ne reste rien, on discute même sur son emplacement exact, sur son étendue, sur ses limites, questions archéologiques qu'il ne convient pas de traiter ici. Avec Gaston Phoebus (XIV e siècle) nous entrons dans le domaine de la certitude.
     Ce rude administrateur, ce vaillant guerrier était aussi un seigneur fastueux et ami des arts, qui sut employer les richesses, fruit de ses conquêtes, de son administration savante et dure, à augmenter l'éclat de ses domaines.
     Il construisit de nombreux châteaux, et c'est à lui qu'est due la grande tour carrée, la Tour de Tuiles, comme il l'appelait lui-même.
     Quand le prince de Galles (dit Froissard) fut issu hors d'Angleterre et vint en sa cité de Tarbes.... si le faisait prier le comte d'Armagnac que le comte de Foix voulût lui remettre tout ou partie de la somme de 250.000 livres qu'il lui devait pour sa rançon.... Pour ce temps, était le comte de Foix en la ville de Pau, car il y faisait faire et édifier un moult bel chastel, tenant à la ville au dehors, sur la rivière du Gave... C'était vers 1362.
     Gaston Phoebus édifia non seulement cette grosse tour carrée, mais, on peut le dire, tout le château, en tant que château-fort, car c'est à lui qu'est due l'érection des quatre autres tours, du talus intérieur, de l'escarpe extérieure et de tous les murs crénelés qui reliaient et entouraient la forteresse : elles subsistent encore aujourd'hui.
     Arrêtons-nous donc un moment à le décrire... La base de l'enceinte, de forme irrégulière (un triangle scalène dont l'angle aigu serait tronqué), a environ 480 pieds de long sur 300 de large.
     Borné au nord et à l'ouest par le ruisseau le Hédas, au sud par un canal dérivé du Gave et de la rivière d'Ousse, et à l'est, côté de la terre ferme, par un large fossé creusé de main d'homme et d'une profondeur de 27 pieds, qui le sépare de la ville, il est entouré d'un talus en pierre de taille, aujourd'hui gazonné, d'environ 30 pieds de haut, couronné autrefois par un mur crénelé dont on peut voir encore quelques restes au côté nord et, bien que singulièrement restaurés, sur les côtés sud et ouest.
     Au pied et au tour de ce talus est un terre-plein de 60 à 70 pieds de large, entouré sur ces trois faces extérieures, nord, ouest et sud, par une escarpe élevée en maçonnerie et revêtue en pierre de taille, d'environ 60 pieds de hauteur, surmonté autrefois par un mur crénelé de 6 à 7 pieds, dont on voyait les restes, en 1806, à son extrémité occidentale. Les quatre tours de l'enceinte sont à l'est, la grosse tour de Briguet , les tours de Montaüzet et de Billère au nord, la tour de Mazères à l'angle sud-ouest. Il faut y joindre la tour dite de la Monnaie, au pied de l'escarpe, au sud, d'une hauteur de 20 mètres et dont la plate-forme, jadis surmontée d'une toiture, est au niveau du terre plein avec lequel elle communiquait à l'aide d'une arche et d'un escalier pénétrant dans l'intérieur du bâtiment et formant tête de pont sur le Gave ; elle défendait cette entrée avant la construction du grand pont de pierre en 1740.
     L'établissement de la Monnaie, transféré de Morlaàs à Pau au XVe siècle, qui a subsisté jusqu'en 1792, est aujourd'hui en ruines et a perdu son toit ; mais au point de vue pittoresque, son effet est charmant.
     La grande tour,( haute de plus de 100 pieds, sur une surface en rectangle de 54 pieds sur 35 et des murs de 8 pieds 4 pouces d'épaisseur ) forme l'angle sud-est du château ; elle se compose de 4 étages, outre le rez-de-chaussée et un entre-sol. On y monte par un escalier, en limaçon, fort étroit. La plate-forme, formant actuellement terrasse, était originairement couverte d'une toiture. L'aspect de cette robuste construction encore garnie de ses machicoulis, nouvellement restaurés, est des plus majestueux.
     L'intendant Lebret affirme, dans son mémoire manuscrit si curieux, fait au commencement du XVIIIe siècle (31 décembre 1700), que Gaston Phoebus a habité cette partie du château. Cette assertion n'a rien que de très vraisemblable.
     Chaque étage était éclairé par des fenêtres oblitérées lorsque la tour servit de prison à l'époque de la fondation du Parlement, et qui ont été remplacées par d'autres ouvertures d'un goût moderne et assez peu approprié au style de l'édifice lorsqu'on le restaura sous le roi Louis-Philippe.
     La vue de la plate-forme est superbe ; elle embrasse la chaîne des Pyrénées, depuis les montagnes de la Haute-Garonne et le pic du Midi de Bigorre à l'est, jusqu'au pic d'Anie et aux crêtes du pays basque à l'ouest. En face et au milieu de cette longue sierra se dresse, dans l'axe de la vallée d'Ossau, qu'il ferme majestueusement, le roi de la chaîne, le pic du Midi de Pau, dont le sommet, qui se détaché des montagnes voisines, s'élève à 10.000 pieds.
     Au centre du donjon existait l'ancienne entrée et au-dessus de la porte à la-quelle aboutissait le passage du pont-levis, dans ce qui forme actuellement l'entrée de la chapelle, on voit encore l'inscription sculptée en lettres gothiques : « Febus me fe. » Passons à la tour Montaüzet, au nord de la cour et près de l'encoignure nord-est. Il ne faut pas la confondre avec la petite tour moderne érigée sous l'empereur Napoléon III, à l'angle, pour les appartements du commandant militaire. Celle-ci n'a rien de remarquable, et malgré le soin qu'on a pris, sans doute pour dérouter les recherches et tromper les visiteurs, d'apposer à l'extérieur les initiales de Gaston Phoebus, elle ne peut être confondue avec l'architecture de ce grand prince et de ses successeurs.
     La tour de Montaüzet est un carré long (35 pieds sur 25), haute de plus de 80 pieds, avec des murs de 8 pieds d'épaisseur ; elle est sans escalier, d'où lui venait son nom (Montaüzet signifie en béarnais monte oiseau), et sans ouverture quelconque jusqu'à 40 pieds, où se trouvait la seule porte donnant accès à l'intérieur, lorsqu’en 1772 le gouverneur du château fit pratiquer au niveau du sol une entrée sur la cour. Jusqu'en 1460, on y parvenait à l'aide du, gros mur de 7 pieds qui, partant de la grande tour, atteignait et contournait toutes les autres, faisant ainsi fonction de courtine et de mur d'enceinte. Elle est couronnée par un toit fort élégant d'environ 30 pieds de haut, terminé par un faîte de 8 à 10 pieds surmonté de deux vases en plomb. Sa façade sur la cour portait encore récemment des traces de biscayens qu'un enduit moderne a fait disparaître.
     La tour de Billère, à l'angle nord-ouest de l'enceinte, est carrée (27 pieds de côté) et à peu près de la même élévation que sa voisine.
     La tour de Mazères, à l'angle sud-ouest, lui est semblable, sauf le toit, qui se termine par un faîte de 4 pieds et deux girouettes. De là, le gros mur d'enceinte ou rempart se dirigeait à l'est vers la grande tour, à laquelle il aboutissait Par une grande porte actuellement murée. Cette partie de gros mur est encore ornée d'une rangée de mâchicoulis pareils à ceux des tours.
     Tel était le château fort du comte de Foix et de Béarn.
     Un siècle après, en 1460, Gaston VI de Foix, devenu roi de Navarre, abandonnait Orthez pour venir habiter Pau. Il en répara et embellit le château, auquel il ajouta de nouvelles constructions. C'est à lui qu'est dû le corps de logis qui s'étend au nord entre les tours de Montaüzet et de Billère, qu'il relie ; on lui attribue aussi les anciennes constructions dites la Chancellerie et qui ont long-temps fermé la cour à l'est, entre le donjon et Montaüzet, en dedans du gros mur d'enceinte. Le bel escalier adossé contre cette tour desservait ces bâtiments.
     On construisit alors la porte et le pont-levis sur le Hédas, et un vaste parc s'étendit au nord et à l'ouest.
     Henri II, roi de Navarre, aïeul d'Henri IV, est, avec Gaston Phoebus, le grand constructeur du château. Son chiffre et celui de la reine Marguerite, sœur de François Ier, brillent, avec leurs armes, sur les somptueuses constructions du sud. C'est surtout dans ce corps de logis que se trouvent les magnifiques pièces parcourues par les visiteurs, et d'où l'on jouit d'une vue si étendue sur les Pyrénées.
     On y pénètre soit par le grand escalier de l'est, soit par le vestibule et l'escalier du sud-ouest. Le premier, dévasté en 1793, a été l'objet d'une heureuse et habile restauration. Son plafond est orné de sculptures, parmi lesquelles on voit les lettres M. H. Le balcon qui règne au sud a environ 100 pieds de longueur sur 8 de largeur.
     Henri II établit solidement ces constructions : les murs sont d'une grande épaisseur et les pièces du rez-de-chaussée, du premier et du second étage, vastes et élevées. Une description détaillée de ces richesses ne saurait trouver place ici ; il faut se borner à noter les charmantes sculptures, style Renaissance, qui décorent le porche de l'escalier, les grandes fenêtres au nord et au sud, les médaillons encadrés dans le parement des murs de la cour, les moulures profondes, fines et délicates qui abondent dans cette architecture et lui donnent une grâce infinie sans rien lui enlever de sa grandeur. Il y a là des sujets curieux d'étude sur cet art dont nous possédons de si riches et de si nombreux spécimens dans le centre de la France. C'est vers 1530 que ces royales constructions ont été édifiées, et c'est, là que, le 13 décembre 1553, venait au monde le roi béarnais, Henri II de Béarn, III de Navarre, IV de France.
     Après Henri II, aucune construction importante n'est à noter. Mentionnons seulement le corps de logis, partie en bois et en briques, qui, jusqu'à nos jours, a si tristement fermé la cour à l'est, entre la grande tour et Montaützet ; démoli sous Napoléon III, il a été remplacé par un portique à trois arcades sculptées, où l'on a fait de louables, mais infructueux efforts pour reproduire les ciselures si finement fouillées, de Henri II.
     Sous Henri IV, on modifia l'entrée et l'on plaça au-dessus de la porte (maintenant fermée et qui forme le chevet de la chapelle) l'inscription suivante :

HENRICUS DEI GRATIA
CHRISTIANISSIMUS REX FRANCIE
NAVARRE TERTIUS DOMINUS
SUPREMUS BEARNI
1592

     Au-dessus, on peut reconnaître les armes des Médicis.
     C'est en cet état que la Révolution trouva le château du roi béarnais. Ce qu'elle en fit, il est aisé de le pressentir et superflu de le raconter : l'abandon, le désordre, les déprédations, les ruines s'y succédèrent amenant un état déplorable.
     Quelques réparations urgentes furent faites en 1806 et de 1815 à 1830. Mais c'est sous le roi Louis-Philippe qu'on entreprit une restauration générale. Elle amena de bons résultats au point de vue de la conservation de l'édifice. Mais, hélas ! on ne se borna pas là et l'on eut la malheureuse idée de faire du neuf et surtout de vouloir faire du vieux neuf. On voulut rajeunir le vieil édifice et le compléter. C'est ainsi qu'on eut l'idée fâcheuse sous l'influence d'un amour assez étrange de parallélisme, de faire à l'ouest une petite façade qui jamais n'eût dû exister, et d'ajouter à la vieille tour rajeunie de Mazères une jeune sœur, que l'on fit semblable à la première, en altérant celle-ci.
     L'architecture civile du moyen âge, déterminée, par l'utilité et la destination des tours dans la défense des châteaux forts, les plaçait aux angles et n'eût jamais eu l'idée d'en accoler deux, si ce n'est près des poternes.
     Mais si ces réparations prêtent à quelques critiques, il faut, en résumé, se féliciter des travaux accomplis tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. On a restauré les sculptures, refait des fenêtres, rétabli des balcons, construit une chapelle, etc., etc.
     Ces travaux furent repris et complétés sous l'empereur Napoléon III. C'est alors que fut érigé le portique qui clôt la cour à l'est et édifié une petite tour carrée à l'angle nord-est, en avant de Montaüzet. De grandes réparations furent également faites à l'intérieur des appartements.
     Et maintenant le vieux château ; ainsi rajeuni, s'offre à l'admiration du touriste, aussi intéressant pour l'historien que pour l'artiste, dominant la ville dont il a abrité l'enfance et le parc qui lui sert de promenade, triste de son abandon, mais fier de ses souvenirs et peut-être de ses espérances.
     Saluons-le avec respect et avec amour!
     Ce fut le berceau d'un de nos grands rois dont l'image est voisine et dont le nom reste à tout jamais dans l'histoire, par sa valeur personnelle, par celle de sa race, par les grandes choses que la France, sous leurs règnes, a faites pendant deux siècles. Sa mémoire est chère aux Béarnais ; sa statue est toujours au milieu d'eux et dans cette ville de Paris dont il fut le conquérant et le Père.

   Sources

  • PAUL LAFOND, Château de Pau Eaux-Fortes, Librairie des beaux-arts, Paris, 1882.
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