La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




LÉGENDE DE SARRANCE



arrance est un pèlerinage en l'honneur de la Vierge Marie, situé dans les quartiers inférieurs de la vallée d'Aspe. Ce nom de construction toute béarnaise (Sarrade-Ance) signifie lieu serré, gorge étroite, défilé. Et, en effet, aucune de nos vallées pyrénéennes n'est plus resserrée que celle d'Aspe depuis la Pène d'Escot jusqu'au magnifique bassin de Bedous. Dans une longueur de sept à huit kilomètres, le gave semble disputer le passage à une belle route, entre deux chaînes de hautes montagnes dont les pieds se touchent. C'est là que se trouve au milieu d'un petit village, l'église vénérée où la foule des pieux catholiques vient se prosterner en présence d'une antique Madone de pierre.
    On ne connaît pas au juste l'époque où ce pèlerinage commença. Nous croyons qu'on ne doit pas le faire remonter au-delà du XIIe siècle. Dans tous les cas, en voici la naïve légende.

    Sarrance n'était qu'un désert où les habitants de Bedous menaient leurs troupeaux dans la belle saison. Or, il arriva qu'un pasteur, dont le taureau disparaissait de temps à autre, étonné de voir cet animal devenir plus gras chaque jour, s'imagina qu'il avait dû trouver un coin fertile en bonnes herbes : il résolut d'en suivre les traces avec soin. Un soir donc qu'il l'avait surveillé de plus prés, il le vit à genoux sur une pierre au bord du Gave. Prés de là se trouvait un pécheur de la vallée. Ces deux hommes s'approchèrent ensemble et reconnurent une petite statue de la Sainte Vierge à demi-plongée dans les eaux frémissantes d'une source limpide. Les fidèles du voisinage apprirent bientôt la merveilleuse apparition et accoururent en grand nombre de toutes parts.
    Averti à son tour par le curé de Bedous, l’évêque d'Oloron se rendit aussi sur les lieux avec une partie de son chapitre. Il crut bien faire en transportant la Madone dans sa cathédrale avec toute la pompe d'une procession extraordinaire. Mais quelques jours après elle avait disparu : on la retrouva au bord du Gave, sur la pierre où le taureau l'avait fait découvrir. Il ne fut plus permis alors de douter que la Sainte Vierge n'eut un dessein particulier de bonté et de miséricorde sur le lieu de Sarrance, où, en effet, on lui érigea un petit oratoire.

    Il y a toujours eu des impies. Quelques-uns de ces hommes sans coeur enlevèrent la sainte image et la précipitèrent dans le gouffre qui tourbillonne sous le pont. Ils voulaient en faire perdre le souvenir ; mais leur frayeur fut grande quand ils la virent remonter le Gave, et s'en retourner à l'endroit d'où ils l'avaient tirée. Le peuple connut ce nouveau prodige et, à partir de ce jour, il ne cessa pas de venir en foule au sanctuaire de NOTRE-DAME de Sarrance.
     L'oratoire de Sarrance fut accompagné d'une petite hôtellerie ou, comme l'on disait alors, d'un hôpital ouvert aux pèlerins et surtout aux infirmes qui venaient implorer les secours de la mère de miséricorde. L'évêque d'Oloron confia le service de la chapelle et la direction de l'hôpital à un ecclésiastique zélé, qui n'avait pour tous émoluments que les offrandes des fidèles. Ainsi, pendant plus de deux siècles, c'est par le dévouement de prêtres séculiers, envoyés les uns après les autres, que Sarrance fut desservi, sous la juridiction immédiate du curé de Bedous.
    Mais on finit par reconnaître que ce ministère exigeait un esprit de suite et pour ainsi dire de tradition. Or, cet esprit ne se trouve dans toute sa force qu'au sein, des communautés religieuses, où règne une discipline d'autant plus énergique, que, fondée sur le sentiment d'une foi vive, elle est plus volontaire et par conséquent plus profonde. En appelant des religieux à Sarrance, l'évêque d'Oloron était sûr d'y voir toujours le zèle s'exercer et par conséquent l’œuvre de Dieu se développer au profit des âmes. Il jeta les yeux sur l'ordre des Prémontrés.

Les Prémontrés à Sarrance.

    Cet ordre avait été fondé en 1120 par saint Norbert, qui fut plus tard archevêque de Magdebourg. Il eut une extension rapide et ses religieux, auxquels le saint siège avait donné le titre de chanoines réguliers, se répandirent bientôt sur toutes les parties de l'Europe. Ils eurent plusieurs maisons dans nos contrées, entr'autres, l'abbaye de S.Jean-de-la-Castelle, au diocèse d'Aire, fondée vers l'an 1150 par Pierre, comte de Bigorre et de Marsan.
     Ce fut ce dernier monastère qui fournit à Sarrance ses premiers religieux. Sancenère était alors abbé ; Arnaud de Valensun était évêque d'Oloron.
     En 1344, Guilhem-Arnaud, chanoine de S.Jean-de-la-Castelle achetait le pré de Sarrance et, l'année suivante, il faisait aussi l'acquisition d'une autre terre et d'une maison, à portée de la chapelle. C'était sous l'épiscopat de Bernard Julian. Sous celui de Pierre d'Estiron, le domaine de Sarrance s'agrandit encore par les soins du chanoine Arnaud-Raymond de Lopgrata, qui reçut d'ailleurs des habitants de Bedous le droit de participer aux avantages de la commune. « Anciennement, est-il dit dans un vieux titre que nous traduisons du Béarnais, les voisins et habitants du dit lieu de Bédous accueillirent, acceptèrent et reçurent pour voisin du dit lieu un nommé frère Arnaud Aramon ( Raymond) de Lopgrala, commandeur lieutenant et gouverneur du lieu et hôpital de Notre-Dame de Sarrance. »
    Comme nous l'avons dit ailleurs, par le mot de voisin on désignait un habitant qui jouissait de tous les privilèges civils de la communauté. Quelques-uns étaient voisins par droit de naissance ; les étrangers le devenaient en se mariant à une voisine du lieu, ou bien en achetant ce titre des Jurats de la commune. Frère Raymond l'acheta. Il l'acheta non pour lui-même, mais pour la maison dont il n'était que le gouverneur, et en qualité de commandeur lieutenant, au nom de son supérieur l'abbé de S. Jean-de-la-Caslelle.
    Ou voit par là que Sarrance ne fut d'abord qu'une simple commanderie. Pour bien comprendre cette dénomination, il faut savoir ce que l'on entend, par les mots abbaye, prieuré et commanderie.
     Abbaye, c'est un couvent de premier ordre, dont le supérieur, portant le titre d’abbé, a rang de prélat et tient ordinairement d'autres maisons sous son autorité.
    Un Prieuré, appelé aussi quelque fois prévôté, est un petit monastère dépendant d'un autre plus grand et dont le supérieur, nommé par l'abbé, porte le nom de Prieur ou de prévôt.
    Enfin, une commanderie n'est, à proprement parler, qu'un bien de campagne, un domaine appartenant à un couvent et administré par un Commandeur ou granger à la nomination de l'abbé ou du prieur.
     La maison de Sarrance commença donc par être une simple commanderie ; mais elle ne tarda pas à devenir un prieuré et finit par être élevée au rang d'abbaye, sans toutefois être détachée de St-Jean-de-la-Castelle, dont elle fut toujours une annexe, le même homme s'appelant abbé de l'une et de l'autre.
     Les prémontrés avaient pour occupations principales la prière et la méditation. A Sarrance, ils y joignirent le soin d'un hôpital, non plus seulement pour les pèlerins et les infirmes, mais encore pour les voyageurs qui se rendaient en Espagne. Aussi l'hôtellerie primitive fut-elle agrandie et ainsi, les disciples de Saint Norbert rendirent dans la vallée d'Aspe les services que rendaient sur d'autres points du Béarn, depuis Gaston-le-Croisé, les diverses succursales du monastère de Ste-Christine.
     Mais ce qui mettait à part le couvent de Sarrance, c'est que les Prémontrés cultivaient la dévotion envers la Reine des anges, si prodigue de ses bienfaits en faveur de ce lieu. Sous leur sainte direction, le pèlerinage devint chaque jour plus édifiant. Les grands de la terre, les princes, les rois eux-mêmes s'y rendirent avec autant d'empressement que le petit peuple. Cinq ou six religieux pouvaient à peine suffire à contenter cette pieuse affluence, qui tourna, du reste, à l'avantage temporel du monastère.
    Les aumônes furent assez abondantes pour qu'on put bâtir, à côté d'une belle église en l'honneur de la Ste- Vierge, un des couvents les plus remarquables de nos contrées pyrénéennes.

   Sources

  • PAR M. l'Abbé MENJOULET, CHRONIQUE DU DIOCÈSE ET DU PAYS DOLORON, Imprimerie LAFON, PAU, 1864.
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