'était en 1791 ; la république française faisait la guerre à l'Espagne, et la vallée d'Aspe venait de mettre sur pied un bataillon de volontaires dont les grenadiers (capitaine Tresmontan) étaient à Lées la première compagnie (capitaine Laclède), à Bedous ; la deuxième (capitaine Minvielle d'Accous), à Accous ; la troisième (capitaine Anchou), à Borce ; la quatrième (capitaine Pélissier), la cinquième (capitaine Minvielle, d'Arette), et la septième (capitaine Trousil) à Urdos ; enfin la sixième (capitaine Ferrandou) et la huitième (capitaine Castaing), à Lescun.
Le 4 septembre 1794, la compagnie Laclède venait de se rendre sur son terrain de manœuvres, proche de Bedous. Tout à coup, une vive fusillade se fait entendre dans la direction de Lescun. Le capitaine prête l'oreille « Ce sont les Espagnols aux prises avec les nôtres, s'écrie t-il volons au secours de nos camarades » et munis de cartouches, les voilà tous partis pour Lescun.
C'était, en effet, un corps de 6,600 Espagnols détaché de l'armée royale d'Aragon, qui venait de pénétrer dans la vallée d'Aspe par le col det Paü et de la Marie. Deux faibles détachements de 25 hommes chacun, commis à la garde de ces défilés, avaient dû céder au nombre, et ralliés aux deux compagnies Ferrandou et Castaing, ils réussirent à contenir l'ennemi et à couvrir le village de Lescun jusqu'à l'arrivée de la compagnie Laclède. Mais une bande de pillards venus à la suite du corps espagnol s'empressa de détruire par le feu les bordes ou granges situées entre Lescun et la frontière. De grandes provisions en fourrages y furent ainsi consumées.
Cependant la compagnie Laclède accourait au pas de course. Des paysans alarmés essayèrent de la retenir au pont d'Esquit, affirmant que Lescun avait été pris, passé au fil de l'épée et puis brûlé. Mais Laclède et ses volontaires n'en gravirent pas moins avec résolution et une agilité merveilleuse la rampe difficile qui remonte à ce village.
Alors s'offrit à leurs yeux un spectacle qui aurait pu démoraliser des hommes moins fortement trempés. L'ennemi, franchissant le gave qui le séparait de Lescun, avait placé sur un mamelon dominant le village une colonne dont le feu incommodait outre-mesure les Aspois. Les habitants armés de fourches et de faux s'étaient joints aux soldats pour défendre leurs foyers ; les femmes et les enfants mêlaient leurs cris lamentables aux détonations des mousquets, et les lueurs des incendies qui dévoraient les bordes de ce quartier, se reflétaient sur les rochers et sur les neiges du pic d'Anie, ainsi que des montagnes environnantes.
Laclède sentit qu'il fallait à tout prix enlever le mamelon occupé par l'ennemi. Cet officier en était à l'apprentissage d'un métier où il parvint ultérieurement au grade de colonel de dragons, et où il se serait fait une grande renommée, si la mort ne l'eût pas atteint devant Saragosse. Dès son début à Lescun, il montra autant d'intelligence que d'intrépidité. Après avoir, pour faire nombre aux yeux de l'ennemi, garni le versant qui regarde le gave d'hommes invalides et de femmes, tandis que les compagnies Castaing et Ferrandou, secondées par les paysans valides tenaient bon, à leur poste, Laclède s'élance avec les siens sur les flancs de la position ennemie, et réussit à précipiter les Espagnols au bas du plateau. Il y fit prisonnier de sa main le baron prussien de Hoorts, officier supérieur dans les gardes wallonnes. En ce moment survinrent, à leur tour, de leur cantonnement d'Accous et de Borce, les deux compagnies Minvielle et Anchou, refoulant les Espagnols à l'arme blanche, après avoir rallié à elles une foule de paysans qui se trouvaient munis d'armes et de munitions. Ce fut le coup de grâce, et l'ennemi, déjà en retraite, fut mis complètement en déroute et chassé de la vallée.
De son côté, la compagnie Pélissier, au premier bruit de l'invasion s'était portée d'Urdos sur le col d'Aillary, où elle joignit les grenadiers de Tresmontan. Un corps d'Espagnols s'était posté sur la montagne Lacuarde. Mais à la vue des volontaires aspois qui venaient audacieusement à eux, les ennemis abandonnèrent cette première position et se réfugièrent sur le pic du Brug d'où ils dirigèrent un feu très-vif contre les nôtres. Là périt Tresmontan à la tête de ses grenadiers. Mais loin de se laisser décourager par cette perte les deux compagnies s'élancent à la voix de Pélissier, ayant les fusils en bandoulière, et l'ennemi chassé de ces sommets, ne se croit en sûreté qu’après avoir regagné le territoire espagnol.
C'est ainsi que sept compagnies de volontaires, sans expérience de la guerre, triomphèrent dans ces montagnes d'un corps de 6,600 Espagnols, qui ne s'étaient pas moins promis que de pousser jusqu'à Oloron et même d'envahir le Béarn.
On a vu que les Aspois y combattirent dans la proportion d'un contre dix !..... Il se peut que les Aspois n'aient pas encore secoué toutes leurs idées superstitieuses du moyen âge. On dit aussi que leurs veines conservent de nos jours un reste du levain qu'y jetèrent autrefois les trop grandes franchises de leurs fors.
Mais qui n'a pas ses défauts, en ce monde ?. Dans cette belle vallée, du moins, nous les trouvons rachetés par une incontestable bravoure.
Sources
- J.F. SAMAZEUILH, Voyage de Bayonne aux E-Bonnes et E-Chaudes, Imprimerie,de V.Lamaignère, Bayonne, 1858
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